“Au commencement, avant la fiole de liqueur, était la légende de Morgaine, La Fée des Monts“

Il y a fort longtemps, c’était le matin du Monde bien avant les hommes, au fond de la haute vallée d’Aulps les moines cisterciens n’avaient pas encore posé les prémisses  de leurs croyances. Autour de ce que l’on nommera plus tard la pointe de Nyon, plus particulièrement le lieu-dit de Nyon Guérin, Morgaine, fée ou sorcière était venue du monde d’en bas. Elle était parée d’une grande chevelure blonde, vivait de cueillette et de laitage, quelques chèvres sauvages la suivaient. Elle ramassait déjà l’orchis blanc, l’asclépiade, la germandrée et l’artémisia. Au printemps, elle ressemblait plutôt  à un oiseau lyre ou à un serpent ondulant sur les pentes herbeuses.

  • Gardienne de la Montagne

    Elle était gardienne de la montagne, maîtresse de la magie végétale, capable de se transformer en sorcière et de manipuler les esprits. On ne saura jamais pourquoi Morgaine était seule et avait les pouvoirs de changer de peau comme le serpent, de quitter le présent, et de réapparaitre pour une vie nouvelle. Elle savait se plonger dans le secret des plantes, qu’on n’appelait pas encore à cette époque, aconit, marrube blanc, reine des prés ou calamant. Elle utilisait, en particulier, ce que l’on nomme aujourd’hui,  le « dompte-venin », l’asclépiade, l’hellébore blanc et la grande « Tue Loup ». Elle faisait corps avec son environnement, c’est dur à comprendre mais ça continue de nos jours. Un beau matin, au soleil levant, occupée à cueillir l’arnica et l’achillée millefeuilles, elle entendit des voix indistinctes provenant d’un ravin encombré de lourds rochers, elle se précipita et vit un homme à l’agonie.

  • Sorcière guérisseuse

    Les bruits de la forêt accompagnaient le râle de douleur de cet homme des bois. Il portait une peau de loup, un énigmatique bâton à ses côtés, une longue chevelure noire rejoignait une barbe couleur de sang. Il gisait les bras étendus, la poitrine ouverte. Morgaine s’approcha, le toucha, elle le conduisit avec difficulté dans son gîte de bois et de pierres adossé à une dalle de pierre faisant office de protection. Le feu allumé, elle se plongea dans ses mixtures de plantes et potions d’hysope et d’angélique, elle le fit boire, le nettoya.  Elle broya l’achillée millefeuille, la travailla avec la racine de gentiane. Elle lui appliqua cataplasmes de racines de consoude et d’angélique. Elle le frictionna aussi avec cette pommade camphrée composée d’huile de noisette, et d’épine noire.  Elle composa des lotions d’épervière piloselle, et d’euphraises pour les multiples plaies.

L’homme en quelques lunes reprit vie et ouvrit les yeux ; ses plaies se cicatrisaient mais l’empêchaient encore de se lever. Les fièvres le tenaient toujours, il délirait, sous l’effet des drogues administrées. Mais son énergie revenait doucement. Morgaine prenait le temps de l’écouter dans ses monologues inconscients. Le Germe, tel semblait être son patronyme qu’il balbutiait. Il pistait une biche lorsqu’il se trouva en face de l’ours Aïnu l’ours du Bas Thex, le gardien de la haute vallée d’Aulps. Le Germe fut surpris et agressé, il frôla la mort.

Le pouvoir de l'Amour

Morgaine fut subjuguée, peu à peu, par le charme mystérieux de cet homme qui délirait, évoquant des récits d’aventure, d’amour fou avec une femme aux longs cheveux noirs.  Le secret des potions fit son effet. Soleil, Lune, chimères, comètes, orages, lecture de la voûte céleste se succédaient et Morgaine, sous le charme et comme envoûtée, écoutait avec recueillement. Une passion amoureuse naissait, irrépressible. Le Germe, coureur de bois, chasseur cueilleur était un nomade, toujours en mouvement. Il savait lire, lui aussi, les ciels étoilés, parler au soleil, écouter les vents et échanger avec les esprits de la forêt. Il avait le pouvoir extraordinaire d’accrocher son manteau de peau de loup aux rayons du soleil.

  • Morgaine se sentit submergé par l’amour, un sentiment intense et nouveau pour elle. La douceur de l’été, les chaleurs et les orages accompagnèrent cette  passion. Le solstice d’été se consumait, et avant que les jours ne déclinent trop, l’appel de la forêt se fit entendre, le Germe sans prévenir, s’échappa une nuit de pleine lune. Il voulait retrouver Aïnu, l’entendre et se mêler à son souffle, sa force. Il s’obstinait à découvrir sa caverne mystérieuse et ainsi, percer le secret interdit aux hommes de cette divinité guerrière du pouvoir souterrain, qui suit le cycle végétal, apparait et disparait guidé par la lune. Morgaine, inconsolable,  ravagée par le départ de son amour, changea de peau telle la mue du serpent de fée elle devint sorcière. Elle chassa ses chèvres, pour qu’elles grimpent au plus haut dans la constellation du cocher, afin d’atteindre l’étoile de la chèvre pour maîtriser les éclairs et qu’elles puissent faire tomber à leur guise, l’orage et la pluie.

  • Elle partit, elle aussi, à la recherche  de son âme perdue et de celle du Germe au plus profond des forces telluriques. Elle voulait fuir cette lumière devenue insupportable, étouffer son chagrin. Maîtresse de l’obscurité elle n’avait de cesse que de retrouver son identité primitive d’avant sa chute dans la passion. Ce fut une descente aux enfers qu’elle s’imposa dans l’espoir d’une renaissance. Le temps passa. Le Germe l’avait aimée et elle enfanta  trois petites fées : Céleste, reine qui se lia au ciel, Aveline fée des oiseaux amie des elfes, et Ondine qui se révéla dominatrice des eaux. Elle les éleva au lait de l’immortalité. Elle leur donna ses attributs de fée, baguettes, anneaux et les secrets de la Reine des Prés. Elles s’envolèrent sur la trace du Germe, de leurs fuseaux elles vont suivre la destinée humaine.